« - S’il te plaît, emmène-moi à Jérusalem
- Hein !
- Emmène-moi à Jérusalem !
- Bonjour, je cherche ma terre.
- Hein ! Bonjour ! Tu cherches quoi ?
- Te voilà enfin. Je t’attendais depuis si longtemps. Je n’en
peux plus de mourir tous les jours ici. Je voudrais échapper à mon destin
tombal. Je voudrais quitter la gravité de ce mur. Je cherche ma terre. Je veux
vivre, voir du pays, longer les rivières, traverse les frontières, déplacer les
montagnes. »
C’est ainsi qu’un petit caillou coincé dans une fissure du
mur des Fusillés à Auschwitz s’adresse à un homme. En cet instant, un jour de
juillet 2006, le front posé sur le mur, l’homme se recueille.
La demande de ce petit caillou va de fait devenir le point
de départ d’un voyage d’Auschwitz à Jérusalem.
Cet homme, le front posé sur le mur, est André WEILL, l’auteur
de l’ouvrage « Le marchant de bonheur° ». Après avoir cheminé
de Drancy à Auschwitz, sur la trace d’un oncle gazé le 5 juillet 1944, le voici
face au mur des fusillés à Auschwitz et plus que jamais convaincu qu’il convient de continuer
le chemin.
« La vie n’est faite que de départs »
« Regarder plus
loin que l’horizon pour appréhender les espaces de vie au-delà de la folie du
mal. Passer outre et offrir un départ de réparation, de lumière et de liberté à
tous nos frères, victimes et bourreaux, qui n’ont jamais pu quitter Auschwitz. »
Ultreia !
« Je quitte la folie d’Auschwitz pour dire à nos enfants ce
que nos parents n’ont jamais pu nous dire. Et
je vais le dire avec mes pieds. »
Le chemin sera rage, mémoire, révolte mais surtout amour, de
la part d’un pèlerin de paix.
Au terme de 3366 kms, 10 frontières traversées, 5 mois de
marche, le marchant atteint le Mur des Lamentations : c’est là que
le petit caillou finit son errance.
« Je l’ai lâché au-dessus d’une petite faille, ouverte
entre le mur et une dalle de verre. Je l’ai entendu rouler, quinze mètres en
contrebas. Enfoui à jamais dans les entrailles de Jérusalem, il repose dans sa terre mère, au milieu
de cent mille autres petits cailloux, dans les gravats qui soutiennent le
temple de Salomon. »
En fermant le livre (mais peut-on réellement le fermer ?),
le cheminant de l’été 2012 sur le Camino pense au geste symbolique accompli à
la Cruz de Ferro, au sommet des Montes de Léon, lorsque le pèlerin, le cheminant
ou le marchant dépose un caillou, symbole des scories égotistes qui
recouvrent encore son corps, au pied « d’une mythique croix de fer, fichée
en haut d’un mât de bois planté dans un cairn ». « Respectant
le rite antique christianisé, le pèlerin y déposera une pierre qu’il chargera
dans le secret de son cœur, d’une signification personnelle : un péché
trop lourd à porter, une épreuve à dépasser, un renoncement nécessaire… »°°
Il pense aussi au long voyage d’Ulysse, qui en quête de sa
terre natale, Ithaque, mit 20 ans à franchir les épreuves qui lui ont été
infligées. De la guerre de Troie, symbole du chaos, de la discorde, à Ithaque,
symbole de l’harmonie et de la paix, son cheminement fut celui d’une vie placée
sous le signe de la quête du sens et de la sagesse°°°.
Au total, des voyages ou des cheminements dominés par des
questionnements relevant de l’ordre des valeurs morales et de l’ordre des
valeurs spirituelles (avec ou sans Dieu).
° André WEILL « Le Marchant de bonheur », à pied d’Auschwitz à Jérusalem, Le
Mercure Dauphinois, Avril 2008.
°° Guide spirituel des chemins de Saint Jacques, sous la
direction de Gaële de la Brosse, Presses de la Renaissance.
°°° Voir Luc Ferry, De Homère à Platon, Collection Sagesse d’hier
et d’aujourd’hui, Flammarion, Septembre 2012.
Ci après des photos de ... petits cailloux des Montes de Léon.
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